Lorsque j’ai l’occasion d’aller sur le terrain, c’est souvent pour aller à la rencontre des producteurs de tabac. (le tabac est la production agricole numéro 1 dans la province de Jujuy) J’ai appris énormément à ce sujet, et vais vous raconter un peu comment ça marche, c’t’histoire :
C'est Ivan qui m'emmène sur le terrain... en moto! (estufas au fond)
Tout commence à la fin de l’automne, ou au début de l’hiver pour les retardataires (juin ou juillet): on prépare une petite parcelle de sol à recevoir la précieuse graine de tabac. Pour cela, on stérilise avec un produit-ultra-toxique-(mais-chut !)-qui-tue-tout : les champis, les insectes, et les autres graines. Le produit ("Vapam"), est liquide, alors on bâche pour éviter qu’il s’évapore avant d’avoir fait son travail.
En hiver, lorsque le sol est prêt, on sème sur ces petites parcelles des milliers de minuscules graines. Et on attend que la nature fasse son travail, en prenant bien soin des petits trésors qui sortent peu à peu. Alors, on coupe le bourgeon terminal, pour que la plantule concentre surtout son énergie sur les racines : elles seront essentielles pour que la douloureuse transplantation qui attend les bou’d’chou ( ?) réussisse.
Septembre : c’est le printemps ! Une main d’œuvre super nombreuse s’affaire à replanter une à une chaque petite plante dans d’immenses champs. Là, elles ont tout l’été (jusqu’à janvier) pour grandir et développer des feuilles gigantesques, c’est tout ce qu’on leur demande. MAIS, des ennemis guettent pour les en empêcher : la grêle, pire ennemi des producteurs de tabac, et le vent. Comme cette production est très lucrative, les « tabacaleros », organisés en coopératives, ont de bonnes armes pour lutter : des missiles d’iodure d’argent. Ils guettent le ciel et ses nuages de grêle, et quand l’un d’eux apparaît, PAF, désintégré par un missile !
--Quand on m’a dit ça pour la première fois, j’ai écouté incrédule cette histoire à dormir debout (il faut dire que c’était un gaucho un peu bourré qui me racontait ça dans l’orgie d’une « marcada »)… mais on m’a confirmé très sérieusement le coup en me montrant des sites de tir de ces missiles…ça m’a sciée !--
Contre le vent, les solutions sont plus terre à terre : les fameuses haies brise-vent du Bosque Modelo, pour lesquelles il est difficile de faire accepter les essences autochtones, tant les exotiques casuarina, graevilea et eucalyptus ont la cote, avec leur croissance super rapide et leur fûts bien droits.
Un producteur, en pleine irrigation (manuelle!) de son champ, pour préparer la terre.
Au fond, une double haie casuarina/graevilea...rhÔoooôo!
A partir de janvier, et jusqu’en mars, on fait à nouveau appel à une main d’œuvre monstrueuse (souvent bolivienne…) : les feuilles de tabac sont récoltées une à une à la main (de bas en haut, soit une trentaine de feuille par plante)! Alors, entrent en scène les « estufas » (prononcer « estoufasses »), d’immenses maisons omniprésentes dans les paysages d’ici. Elles servent à sécher les feuilles de tabac. Les plus anciennes, en briques de pisé, tournent encore au bois (d’où la volonté d’avoir de l’eucalyptus à portée de main), mais sont peu à peu remplacée par les nouvelles, de petites cabanes métalliques qui fonctionnent au gaz, et dont les feuilles séchées ressortent d’un peu meilleure qualité.
les vieilles "estufas" à bois
L’histoire est presque finie : à la sortie de l’estufa, les feuilles sont triées en 5 catégories de qualité, et là deux options : soit les grandes firmes internationales les rachètent directement, comme dans la majorité des cas, soit les coopératives commencent à les transformer avant de les leur revendre : découper les feuilles en petits bouts, y ajouter les produits toxiques et addictifs nécessaires…
Plus qu'à emballer, filtre et papier cadeau, et ça y est, c’est prêt à fumer !
le revers de la médaille: défrichement de la forêt native pour planter du tabac...